30 juil. 2024

Revue de livre : Hyperfocus, de Chris Bailey

 Salutations, voyageur !

Nous nous retrouvons aujourd'hui pour une seconde revue de livre. Je vous avais parlé des bibles Deep Work (Newport) et Flow (Csikszentmihalyi), que j'espère bien avoir les balles d'acier, et l'esprit fougueux de présenter un jour sur ce blog. Mais j'ai récemment été surprise par un autre ouvrage relatif au bien-être : Hyperfocus, de Chris Bailey, publié en 2018.

Pourquoi surprise ? Je ne vais pas vous mentir, le domaine littéraire du développement personnel est un sous-bois, constellé à part égales de bouquets délicats de crocus printaniers, et de monticules de caca de sanglier. Si les deux vous promettent fragrances et graines de fleurs en abondance, je vous assure que vous préférerez mettre les mains dans le premier plutôt que le second.

Bon nombre d'ouvrages ont des prémices intéressants, mais sont ravagés par des promesses absurdes et un étalage d'axiomes philosophiques qui les rendent impraticables ou indigestes (coucou The Moutain Is You, de Brianna Weist, qui explique 150% de vos tares par des traumatismes sous-sous-sous-enfouis de votre vie antérieure inconnue et qu'il faut exorciser pour accomplir votre destinée épique), ou bien glacés avec une bonne couche de capitalisme américain et autres méthode magique pour gagner de la thune et devenir heureux, car avoir l'argent est bien évidemment un pré-requis du bonheur (non).

 

Merci, Brianna. Ravie de savoir que si je ne déterre pas mes traumatismes enfouis, je peux aussi bien me passer la corde au cou car je n'arriverai JAMAIS à faire mieux dans la vie, simplement en m'améliorant un peu chaque jour.

 

Pour être parfaitement claire, ces livres sont très populaires (tah le nombre d'évaluations Amazon), et je ne doute pas une seule seconde que beaucoup s'identifient aux descriptions qu'ils contiennent. Ils donnent sans doute une bouffée d'optimisme et de réflexions à un grand nombre de lecteurs (ce qui est toujours mieux que du jus de dépression). Mais je ne les recommanderai jamais à quiconque aurait besoin de conseils en développement personnel, surtout s'ils commencent leur recherche pour aller mieux ou progresser dans ce qu'ils aiment.

Toute cette bave verbale pour vous dire, qu'en téléchargeant l'extrait de Hyperfocus sur mon Kindle, je m'attendais à une autre compilation vague et moralisatrice ou à une nouvelle méthode infâme pour "changer sa vie ! OMG !! prenez une douche froide tous les matins et buvez de l'épinard broyé ! unleash ur productivity potential §§§".

ET BIEN PAS DU TOUT. J'avais tort, UNE FOIS DE PLUS.


Monsieur Bailey (béni soit cet alcool) nous offre ici une mise en lumière de l'attention, au travers de deux prismes principaux pour mieux évoluer dans sa vie : "l'hyperfocus" (comprenez l'hyper-concentration"), et le "scatterfocus" (la concentration "éparpillée", comme les M&M's que je viens de faire tomber sur le parquet parce que j'ai du beurre sur les mains).

 

Un bref résumé du livre

Comme son nom l'indique, Hyperfocus base tout ses préceptes sur la gestion de votre attention. L'ouvrage nous présente d'abord une représentation spatiale et imagée de cette capacité d'attention, une denrée limitée, mais cultivable, chez n'importe quelle humain.

Il se scinde ensuite en deux pour présenter un duo de modes de concentration, que l'on devrait apprendre à maîtriser pour avoir une vie riche et productive : l'hyperfocus, et le scatterfocus.

L'hyperfocus est un état couvert et étayé par de nombreux autres livres. C'est un état d'attention maximale et soutenue, portée sur une seule tâche, qui nous fait produire le maximum de ce que l'on est capable de créer en tant que singe évolué. Le planifier, l'encourager, l'entraîner avec la méditation, et éliminer un maximum des distractions qui peuvent nous dérailler de cette intensité mentale : les conseils sont variés, et bien qu'ils soient parfois redondants à d'autres guides (Deep Work, Make Time, Atomic Habits...), ils ont le mérite d'être présenté sous le spectre de cette capacité d'attention. Ce qui met en lumière certains leviers comportementaux invisibles dans les autres œuvres.

Le scatterfocus est pour moi le sujet le plus unique dans Hyperfocus. C'est un autre état d'attention, dispersé et régénérateur. Partout ailleurs, les auteurs mettent toujours en exergue la concentration soutenue. Elle se retrouve en opposition avec le fameux "repos" (au final rarement décrit autrement que "c kan on travay pa lulz !"), où il faut recharger son énergie, et ne pas consommer du contenu digital comme un maniaque. Mais quid de la créativité, et de ces moments où votre esprit bondit d'idées en idées, alors que vous regardez votre jardin avec un verre de thé glacé dans la main ? Ces inspirations, obtenues en marchant, ou sous la douche ? Monsieur Bailey appose un identifiant à cet état d'attention libre, opposée à l'hyperfocus, mais loin d'être oisif ou inutile. Vous laissez votre esprit rebondir entre les idées et les concepts, soit de façon libre pour capturer l'état de votre mental et planifier votre vie ; soit autour d'un sujet en particulier, pour générer des associations nouvelles et vous apporter des façons inédites de régler vos problèmes (et de créer !).

Cette définition du scatterfocus permet de mieux visualiser cet état alternatif à la concentration intense, et on se rend compte d'un seul coup qu'il est même nécessaire et naturel, quand on planifie notre vie, ou quand on a besoin d'idées innovantes pour un projet.

Le ton se veut pratique mais sérieux, bienveillant, et est étayé par de nombreuses études retrouvées dans d'autres livres de développement personnel - même si ici, leur quantité et leur pertinence sont un peu plus légères, et servent un propos un peu plus libre de la part de l'auteur (libre, mais qui s'entend plutôt bien).

Le maître-mot de l’œuvre est finalement l'alternative : une façon différente, mais très appréciable, de voir l'attention et la gestion de sa concentration au quotidien.

 

Bons points pour l'ouvrage:

 - clair et concis, ton neutre

- emphase sur l'adaptation et l'expérimentation personnelle

- prise de position plus nuancée et justifiée qu'ailleurs, sur le fait d'être multi-tâches (parfois, ça fonctionne tout à fait, mais pour des cas très précis et intentionnels)

- vision ludique et fraîche de la capacité d'attention

- on met le doigt sur un aspect privilégié à améliorer dans ses journées avec le scatterfocus : prendre du temps de réflexion libre pour capturer ses idées, et même poser les pré-requis indispensables à nos projets créatifs (là où l'hyperfocus n'est plus du tout adapté)

- bonne relecture, et bon substrat de réflexion, même si on n'adhère pas à toutes les idées

- très bon complément à d'autres livres traitant de la productivité et du bien-être

 

Défauts et points négatifs:

 - concepts et conseils parfois redondants, surtout pour sa dernière partie, et en ce qui concerne l'hyperfocus et la maitrise des distractions (si vous avez lu d'autres ouvrages de ce style, vous allez reconnaître plusieurs stratégies bien connues)

- inspirations parfois sorties du chapeau, ou très personnelles pour l'explication de certains effets ; toujours conserver sa bonne louche de critique avec soi

- ne traite pas vraiment le sujet du repos, ou des phases sans hyperfocus ni scatterfocus (impossibles à maintenir 100% du temps)

- bienveillant, mais apporte encore un propos malvenu et pas assez nuancé sur l'utilisation du temps libre : on dirait que si vous ne l'utilisez pas pour apprendre à coder du Python, ou pour avoir une licence d'économie, qu'est-ce que vous faites de votre vie, ololz ?? Passer du temps avec votre famille, ou vous allonger 45 minutes pour regarder un match de rugby dans la semaine ? MAI VOU ETE FADA OU KOI ?? BILEVESÉES INSOUTENABLES AAAAAAA-

 

À qui ce livre s'adresse t-il ?

En tant que graphiste, je souhaite conseiller cet ouvrage à toute personne qui a besoin de créativité dans ses activités (pas forcément de la peinture ou de la narration hein - ça peut être de la stratégie, du développement, de la gestion d'équipe...). 

Même si vous avez l'impression d'avoir une bonne capacité de concentration, et de bien museler vos distractions, la description du scatterfocus m'a aidée à retrouver ce processus qui existait déjà dans ma vie, mais qui avait tendance à être écrasé par l'hyperproductivité : se poser confortablement devant un tableau, une forêt, une place fourmillant de vie. Et réfléchir de façon détendue à notre journée, ou à notre projet en cours. 

Ce qui ressemble à de l'oisiveté, est en réalité une étape cruciale de tout processus créatif. Vous ignorez naturellement les distractions inutiles pour cultiver vos idées et votre personnalité. Et vous ne reviendrez à votre bureau que gonflé d'inspiration et d'énergie, pour progresser, et atteindre vos objectifs.

J'ai redonné une place de choix à ces moments dans mes journées, pour imaginer en détail l'univers de Lampyre et ses mécaniques. Ce travail de réflexion libre me permet d'innover et de construire un monde original à vitesse folle ; comme je le faisais quand j'écrivais des nouvelles à tour de bras, il y a quinze années. L'état de fait parait très idiot à constater. Mais quand on met trop d'emphase à travailler le nez collé à l'écran ou à la table, on en oublie que des fois, il faut regarder l'horizon pendant une heure comme un demeuré pour produire des idées géniales.

Prenez soin de vous, à la prochaine !